Définir sa stratégie
Projet culturel et format
Format et configuration du festival
Date : 17/04/2025
Définir sa stratégie
Projet culturel et format
Date : 17/04/2025
Le format d’un festival désigne la façon dont est articulé le programme dans le temps et l’espace. Il est le fruit de choix plus ou moins contraints de la part de l’équipe d’organisation, dépendant de facteurs intrinsèques comme le budget et la direction artistiques mais aussi de facteurs externes comme les possibilités techniques d’un site ou encore de décision politiques (accès à un lieu, incitation ou restriction sur la jauge…).
La configuration d’un festival est pensée dans un contexte géographique à deux échelles :
Le choix d’un lieu est donc hautement stratégique puisqu’il aura des conséquences en cascade sur l’ensemble des postes de production, et donc sur les impacts environnementaux.
A large échelle d’abord, l’implantation du site par rapport aux réseaux de transport en commun affectera l’usage de ces derniers. Les déplacements des publics étant le premier poste d’émission de gaz à effets de serre (GES), le choix du site aura un impact majeur sur le bilan carbone du festival.
A plus petite échelle, la configuration du site peut faciliter l’organisation du festival en réduisant les besoins techniques et logistiques… et donc l’empreinte environnementale. En effet, un site équipé d’infrastructures comme des espaces couverts, des toilettes, l’accès à des branchements électriques ou encore à l’eau potable permettra d’éviter le recours à des livraisons, achats/locations et installations de divers matériels et matériaux.
Le choix du lieu va ainsi avoir une incidence sur plusieurs types d’impacts :
Le choix du lieu est donc déterminant sur l’ensemble des indicateurs environnementaux référencés.
Par ailleurs, certains environnements sont moins résilients face aux aléas climatiques : pour réduire le risque, le site doit permettre la mise à l’abri du public. Les forts épisodes caniculaires de l’été 2022 ont par exemple montré la faible résilience des sites de festival situés en plein champ : espaces ombragés insuffisants voire inexistants, accès à l’eau limité… alors que les intempéries de la même année ont mis en avant la faible résistance des infrastructures temporaires face au déchaînement des éléments. A nouveau, le printemps 2024 et son niveau pluviométrique record (le 4ème jamais enregistré[1]) a mis en avant la faiblesse des festivals de plein air avec de nombreuses annulations partielles ou totales. Au total sur cette année, plus d’un tier des festivals (37%) ont été perturbés par des aléas naturels[2].
Ces exemples posent la question de l’adaptation des festivals dans un monde où les évènements climatiques extrêmes vont se multiplier (canicules, sécheresses, précipitations extrêmes, inondations…). C’est d’autant plus vrai que nous vivons dans une zone qui se réchauffe plus vite que la moyenne mondiale, avec une augmentation attendue de +4°C à l’horizon 2100 et un allongement des jours de fortes chaleurs, des épisodes de sécheresse mais aussi des précipitations extrêmes. En 2024, deux rapports publiés par les Cour des Comptes Européenne[3] et Française[4], ont lancé des alertes sur les lacunes de nos dispositifs d’adaptation. Le premier, intitulé « Adaptation au changement climatique dans l’UE – Les actions ne sont pas à la hauteur des ambitions » alertait sur un manque de méthode et de communication généralisé, voire sur l’inefficacité de nombreux projets d’adaptation. Le second quant à lui souligne le manque de financements, des défaillances dans la coordination entre les niveaux de gouvernance ainsi que le manque de suivi et de sensibilisation.
L’adaptation des festivals au réchauffement climatique est un impératif pour assurer leur pérennité et une opportunité pour informer les citoyen·nes à cet enjeu : quoi de plus efficace en termes de sensibilisation qu’un festival qui ferait le choix de changer ses dates pour éviter les canicules à répétition ? Ou d’un autre qui changerait de site pour préserver la tranquillité d’une espèce animale ou végétale en danger ? En effet, pour les festivals déjà installés, il peut être pertinent de remettre en question le choix du lieu et/ou d’envisager un changement de format, autre facteur ayant une influence sur l’empreinte environnementale.
En 2021, dans son rapport « Décarbonons la Culture »[5] , le Shift Project met en évidence le lien entre la jauge d’un festival et son empreinte carbone, estimant que « plus un événement culturel attire de visiteurs, plus son audience est internationale, plus sa programmation doit déployer des performances spectaculaires pour se différencier… et plus le bilan carbone s’alourdit ». Ce rapport entre jauge et impact carbone serait même exponentiel puisque « en divisant sa jauge par dix, un festival rassemblant 300 000 personnes pourrait diviser ses émissions par un facteur compris entre 20 et 30. ». Pourquoi ? L’association fait le postulat que « plus les jauges grandissent, plus les spectateurs viennent de loin, plus l’avion est utilisé et plus les émissions de CO2 croissent de façon importante ».
Plus récemment, les auteurs du rapport « Déclic »[6] issu du projet éponyme visant à analyser 18 Bilan Carbone réalisés dans des structures culturelles (dont 7 festivals), sont plus prudents : « Globalement, dégager une tendance sur le déplacement des publics est complexe. En effet, les festivals présentent tous leur spécificité ». Cette tendance se confirme tout de même dans deux études de cas : « Le festival de la Paille et les Nuits Secrètes sont les festivals les plus similaires en termes d’activités (festival rural d’une seule édition par an et de moins de 4 jours). On observe une légère tendance à l’augmentation de la distance moyenne parcourue par un·e visiteur·euse avec l’augmentation des jauges. Le cas du Hadra Trance Festival illustre [également] cette tendance : on constate une augmentation des distances parcourues entre les éditions 2021 et 2022 alors que le festival a augmenté sa jauge. »
Cette corrélation parfois observée n’est pas forcément gage de causalité, puisque d’autres facteurs peuvent entrer en jeu. L’étendue de la « zone de chalandise » (ou aire d’attraction) d’un festival est parfois liée à sa jauge : pour remplir cette dernière, un public plus lointain doit être attiré. Mais elle dépend également du bassin de population dans lequel il se situe. En effet, un festival qui instaure une jauge « cohérente » avec son territoire, c’est-à-dire proportionnelle à sa densité de population, ne serait pas forcément plus impactant qu’un plus petit festival par unité fonctionnelle (en l’occurrence par personne accueillie). Dans ce cas, le festival n’est alors pas plus « dépendant du lointain » qu’un plus petit festival : il peut être viable en se contentant d’attirer une majorité d’habitant·es locaux. Il existe une autre variable déterminante dans cette équation, comme évoqué plus haut : la disponibilité des moyens de transport en commun à proximité directe du festival, ou une interconnexion facile et pratique envers ceux-ci.
Plusieurs festivals de grandes ampleurs cochent ainsi ces cases, avec une empreinte carbone par festivalier·e comparable à de plus petits festivals en milieu rural. Ainsi, en comparant les Bilan Carbone des festivals We Love Green (édition 2023) et Hadra Trance Festival (2022), on remarque une quantité de CO2 / festivalier sept fois inférieure pour le premier (10 kgCO2e contre 73) pour une fréquentation pourtant 13 fois supérieure (102 000 festivalier·es contre 8 000).
Enfin, en plus des questions relatives à la jauge, la localisation et l’offre de transport en commun, l’empreinte carbone des festivals dépend également de la distance moyenne parcourue par les publics. Celle-ci peut être influencée par d’autres facteurs, comme la spécificité de la programmation et du format, ou encore la notoriété et le nombre d’artistes programmé·es.
Panoramas est un festival de musiques actuelles situé dans la ville de Morlaix dans le Finistère (Bretagne) depuis plus de 25 ans. En 2023, le festival fit parler de lui en annonçant un changement total de formule : nouvelles dates, nouveau lieu … et nouvelle jauge ! Eddy Pierres, directeur de Wart, association qui organise le festivals, expliquait aux Biennales Internationales du Spectacle qu’il s’agissait du « bon moment dans notre histoire après 25 ans de se réinterroger sur le format en cohérence avec l’ensemble de note activité et le lieu [le SEW]».
Alors que le festival enchainait plusieurs éditions déficitaires malgré des taux de remplissages importants (de l’ordre de 90%), le COVID imposa un format réduit auquel les équipes prirent goût : « l’élément déclencheur furent les années covid et les versions allégées du festival en 2020 et 2021 qui nous nous donnèrent pleins de bonnes idées ».
En effet à ce moment, le festival expérimentât un nouveau format, avec des jauges d’abord de 1000 puis 2000 personnes en cœur de ville, en lieu et à la place d’un évènement de 14 000 personnes en périphérie, dans le parc des expositions de la ville.
Si les équipes apprécièrent la réduction de la charge de travail et de pression associée à la réduction de la taille de l’évènement, le contexte économique du festival pesa également dans la balance.
En effet, malgré des taux de remplissage élevés (souvent proches de 90%) et dans un contexte où de nombreuses charges augmentaient (sécurité, normes sonores, cachets…) le festival était déficitaire depuis plusieurs éditions. Une remise en question profonde du projet s’avérait donc indispensable.
Après une « longue réflexion communément menée avec l’équipe » le nouveau projet du festival apparu comme « une évolution, pas une révolution ». Ce nouveau format passe par l’occupation d’un nouveau lieu, le SEW, ancienne manufacture de tabac située en cœur de ville, et par une division par deux de la jauge.
Un changement de cap qui engendre des conséquences assumées et même souhaitées sur les pratiques de programmation : « On s’est rendu compte qu’avec l’édition réduite à 2000 personnes, on s’est retrouvé assez facilement avec une programmation paritaire, diversifiée, car il n’y avait pas cette pression de la tête d’affiche et une possibilité de construire la programmation différemment. »
Une approche différente de la programmation, davantage située en début de chaîne au niveau de l’émergence artistique : « on n’accueillera pas les mêmes artistes […] cela permet aussi de nous dire que certains de ceux qui ont joué sur notre format réduit seront peut-être les têtes d’affiches de demain ».
Au-delà de cet enjeu, « l’idée était d’avoir un format en adéquation avec les moyens du festival, du territoire, et des collectivités locales » et de « accentuer les mesures de prévention, du travail sur l’empreinte du festival ». En effet, organiser un plus petit festival d’une part et l’organiser sur un lieu situé en centre-ville d’autre part semble apporter son lot d’avantages : « quand on organise un festival pour 14 000 spectateurs sur un territoire, il n’est pas forcément facile de trouver des solutions de restauration locales » ; et « comme on est sur le lieu qu’on exploite à l’année il devient possible de faire des études énergétiques ainsi que des installations et des aménagements durables ».
Concernant le soutien des partenaires, « il a fallu du temps pour convaincre [la collectivité] mais ils nous ont rejoint sur le fait que le projet territorial était plus important que la question du volume, que la médiatisation pourrait être aussi forte à travers un projet différent ». Du côté des partenaires privés, si les aspects quantitatifs sont à priori plus importants, la démarche peut coller à l’engagement de certaines marques.
Le site est-il bien desservi par les transports en commun ?
Le site dispose-t-il d’infrastructures existantes (espaces couverts, toilettes, branchements électriques, eau potable) ?
Le site est-il situé à proximité d’habitats naturels sensibles (réserves, parcs naturels, sites Natura 2000) ?
Le site présente-t-il des espaces vulnérables aux risques de pollution des écosystèmes (eau, sol) ?
Le site dispose-t-il d’espaces ombragés et d’un accès suffisant à l’eau potable ?
Les infrastructures temporaires du site sont-elles résistantes aux intempéries ?
Le site permet-il la mise à l’abri du public en cas d’aléas climatiques ?
Le site est-il adapté aux aléas climatiques de plus long terme (augmentation des températures, précipitations extrêmes, risque de sécheresse et incendie) ?
La jauge du festival est-elle proportionnelle à la densité de population du territoire ?
La communication est-elle principalement orientée vers les publics locaux ?
Sources
[1] MétéoFrance, 2024, https://meteofrance.fr/sites/meteofrance.fr/files/files/editorial/Bilan%20du%20printemps%202024.pdf
[2] Bilan de la saison 2024 des festivals, SMA : https://www.sma-syndicat.org/bilan-de-la-saison-2024-des-festivals/
[3] Rapport spécial 15/2024: Adaptation au changement climatique dans l’UE – Les actions ne sont pas à la hauteur, Cours des Comptes Européennes, https://www.eca.europa.eu/fr/publications/SR-2024-15
[4] « L’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique », Cours des Comptes, Mars 2024, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-03/20240312-RPA-2024-action-publique-adaptation-changement-climatique-synthese-generale.pdf
[5] « Décarbonnons la culture ! », The Shift Project, 2021 : https://theshiftproject.org/article/decarboner-culture-rapport-2021/
[6] “Rapport Déclic”, FEDELIMA, SMA, Ekodev, 2024 : https://declic-musiques.org/letude/