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Projet culturel et format

La programmation : un levier efficace pour les changements de pratiques

Date : 18/05/2025

La programmation : un levier efficace pour les changements de pratiques

La programmation des festivals représente leur cœur d’activité : il s’agit de loin de leur premier poste de dépense (45 % du budget en moyenne[1]) et de la raison principale de la venue de leurs publics (ibid). Il s’agit donc d’une thématique hautement stratégique, voire sensible.

Dans une démarche de transition, ce sujet est souvent abordé à travers le prisme de l’empreinte carbone d’une part, et de l’égalité d’autres. Explorons ces thématiques.

Réduire l’empreinte carbone de la programmation

Le lien entre programmation et empreinte carbone est d’abord direct : un·e programmation majoritairement composée d’artistes internationaux venant en avion aura mécaniquement plus d’impact qu’une programmation regroupant des artistes locaux. Par ailleurs, dans une logique de cohérence et de partage de l’effort, il est indispensable d’intégrer la programmation et les modes de déplacements des artistes dans les mesures de réduction des impacts. Si les publics ont le sentiment d’être les seules parties prenantes sollicitées, alors il est probable qu’ils ne jouent pas le jeu.

Aujourd’hui, la programmation reste pourtant souvent la grande oubliée des plans d’action de développement durable comme si « l’exception culturelle » servait de permis à polluer pour les programmateurices. A l’heure où les festivals peinent de plus en plus à trouver leur équilibre économique (près de la moitié d’entre eux sont déficitaires malgré un remplissage à 90 %[2]), ils se retrouvent contraints à augmenter leur jauge et à trouver des « têtes d’affiches » pour les remplir. Ce cercle vicieux a été bien résumé par les auteurs du Shift[3] : « les festivals augmentent chaque année leur jauge, qu’ils doivent remplir en faisant venir du public toujours plus lointain, public qui ne se déplace qu’à la venue de stars internationales, stars qui exigent des cachets croissants […] enfin, ces cachets croissants obligent les festivals à augmenter leurs jauges ».

Comment sortir de ce cercle vicieux ?

Une étude réalisée par Le Collectif des festivals[4] a mis en avant l’influence considérable des changements des habitudes de programmation en termes d’empreinte carbone en comparant trois scénarios :

  1. un premier scénario « business as usual» : aucune prise en compte de la situation géographique des artistes, aucun effort sur les modes de déplacement choisis ;
  2. un second scénario intermédiaire : pas de prise en compte de la situation géographique des artistes, mais choix partiel de modes de déplacements moins carbonés ;
  3. un troisième scénario engagé : choix des artistes en fonction de leur situation géographique, choix de modes de déplacements moins carbonés.

L’étude montre qu’il est possible de réduire de 25 % l’empreinte carbone du poste artistique sans modifier les pratiques de programmation, simplement en travaillant sur les modes de déplacement (scénario 2 par rapport au 1). A noter que le temps de trajet supplémentaire pour ces déplacements moins carbonés n’est que de +1h20 par trajet en moyenne.

Le troisième scénario permet quant à lui une réduction très conséquente des émissions de GES (division par 6 par rapport au scénario de référence, réduction de 77 % par rapport au scénario 2) moyennant un changement de pratique de programmation plus important. En effet ce scénario implique de mutualiser les voyages des artistes internationaux avec d’autres lieux de diffusion. Schématiquement : l’artiste vient en train depuis ce partenaire et repart chez lui en avion. Cette logique de programmation repose donc sur la collaboration et le compromis puisque le seul critère artistique ne pourra plus dicter le choix de la personne en charge de la programmation : elle devra parfois renoncer à des artistes impossibles à mutualiser.

Ce scénario 3 semble inévitable dans les années à venir pour permettre aux festivals et plus largement au secteur culturel de tenir la trajectoire des Accords de Paris. Il s’agit d’un poste non négligeable qui représente entre 5% et 15% des Bilans Carbone des structures culturelles.

De la même façon que les festivals sont soumis à des impératifs économiques qu’ils gèrent par la tenue d’un budget prévisionnel, ils doivent évoluer dans un cadre écologique contraint. Pour le respecter, nous recommandons l’utilisation d’un budget carbone pour le pilotage des programmations.

 

Améliorer la parité des programmations

Comme nous l’avons souligné dans la partie précédente au sujet des enjeux écologiques, la programmation a un rôle symbolique fort et dispose d’un pouvoir d’influence certain.

Aujourd’hui les femmes sont sous-représentées sur scène : elles ne sont que 14 % dans les festivals de musiques actuelles en 2019[5] ou 25 % plus largement dans les lieux spécialisés musique en Bretagne en 2023[6]. Pourtant, les femmes sont bien représentées dans les pratiques culturelles amateures (52 % de femmes contre 48 % d’hommes)[7]. Un fossé se creuse donc au moment de la professionnalisation, mécanisme similaire à celui observé dans les autres métiers de la culture.

Pour remédier à cette injustice, les personnes en charge des programmations doivent se fixer des objectifs quantitatifs pour rééquilibrer les programmations. Cela permet d’éviter cette distorsion constatée du marché d’une part, mais également de changer les imaginaires en permettant davantage aux femmes de se projeter comme artiste, évitant ainsi un cercle vicieux. Si plus de femmes sont sur scènes, alors plus de femmes envisageront de pouvoir monter sur scène.

 

Grille d’auto-questionnement

  • La programmation vise-t-elle la parité (50% de femmes et personnes non binaires dans le total des musicien·nes présent·es sur scène) ?
  • La programmation permet-t-elle de représenter la dynamique culturelle du territoire ?
    Viser une part significative d’artistes locaux (par exemple 30%)

  • La programmation permet-elle d’aider à la professionnalisation des artistes ?
    Réserver des créneaux pour des artistes émergent·es

  • Les artistes programmé·es ont-iels été prévenu·es des engagements du festival ?
    Est-il demandé aux artistes programmé·es de participer à la démarche éco-responsable du festival ?
    Inscrire dans le contrat une clause écologique, par exemple pour interdire la venue en avion si une alternative moins carbonée existe en moins de 8h de trajet, préciser qu’aucune bouteille d’eau ne sera fournie (et donc de venir avec sa gourde), préciser que les repas sont végétariens, que les demandes faites sur les riders les plus carbonées ne seront pas acceptées, etc.)

 

 


Sources

[1] Etude SoFest ! 2019, France Festivals

[2] Bilan de la saison 2024 des festivals, SMA : https://www.sma-syndicat.org/bilan-de-la-saison-2024-des-festivals/

[3] « Décarbonons la culture ! », The Shift Project, 2021 : https://theshiftproject.org/article/decarboner-culture-rapport-2021/

[4]  « Quels leviers pour réduire efficacement l’empreinte carbone d’une programmation ? Etude de cas avec l’outil Bilan Carbone », Le Collectif des festivals, 2023  https://www.lecollectifdesfestivals.org/collectif/wp-content/files/Etude_carbone_CCA.pdf

[5] « État des lieux de la présence des femmes dans la filière musicale », CNM, 2023 : https://cnm.fr/wp-content/uploads/2023/02/Etat-des-lieux-de-la-presence-des-femmes-dans-la-musique_CNM_2023.pdf

[6] « Les inégalités de genre dans les arts et la culture en Bretagne », HF Bretagne, 2023 : https://hfbretagne.com/wp-content/uploads/2023/09/DiagHFBretagne2023-WEB-bassedef.pdf

[7] « Les pratiques en amateur Exploitation de la base d’enquête du DEPS « Les pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique – Année 2008 », DGCA : https://www.culture.gouv.fr/content/download/94850/852580